Elsa Sahal, détail de “Dépouille n°1”, céramique et couverture, production centre d’art La Chapelle Jeanne d’Arc, 2020
THESE BOOTS ARE MADE FOR WALKING, exposition du 27 juin au 30 août 2020
Originellement associé à la bouffonnerie, Arlequin s’est métamorphosé en archétype de héros romantique dans la peinture moderne. Chez Cézanne en 1890, il se tient debout, droit dans ses bottes et le regard fuyant. Picasso, lui, le représente à plusieurs reprises esseulé à une table de café. Reconnaissable à son costume couvert de losanges colorés, ce personnage iconique de la commedia dell’arte incarne le double de l’artiste et reflète sa condition solitaire et mélancolique. L’artiste Elsa Sahal a reconnu dans cette figure l’expression d’une hégémonie latente et toxique. Dominant l’inconscient collectif, Arlequin ne serait finalement que l’avatar du génie masculin qui peuple les collections des musées et un idéal discriminant pour tous ceux qui s’en éloignent.
Dans cette perspective, Elsa Sahal poursuit à la chapelle Jeanne d’Arc un travail de sculpture entamé il y a plus de dix ans. Elle s’emploie à malmener et ainsi déconstruire cet arlequin rigide en revisitant ses représentations. Elle fait de lui non plus un maître suprême, mais un géant au pied d’argile, vulnérable et fatigué, métaphore d’une masculinité en crise.
« These boots are made for walking / And that’s just what they’ll do /One of these days these boots are gonna walk all over you »
(« Ces bottes sont faites pour marcher / Et c’est ce qu’elles vont faire / Un de ces jours, elles vont te piétiner de toutes parts »)
Prophétie d’une vengeance féministe teintée de fétichisme, ces paroles extraites d’une chanson de Nancy Sinatra donnent leur titre à l’exposition. Pourtant, Elsa Sahal – femme, artiste, céramiste (un art longtemps considéré comme mineur » par rapport à la peinture) – amorce moins une vorace vengeance qu’elle ne propose une mise au point avec humour. Elle a imaginé un paysage sculptural sexualisé et morbide : deux arlequins incomplets soutiennent un cadavre tandis que leurs “acolytes-gisants” s’allongent sur le sol et évoquent la mue d’un serpent. Pour les concevoir, elle s’est inspiré du tombeau de Philippe Pot (1428-1493), un monument funèbre représentant sa dépouille soutenue par huit pleurants. Avec ses arlequins dégoulinants et grotesques, Elsa Sahal célèbre les funérailles d’une virilité toute-puissante et entérine la fin d’une ère. Arlequin est mort. Vive Arlequin. Ce dernier s’est liquéfié, fragmenté, effondré sous la pression des impératifs de virilité et ne survit désormais qu’à travers le regard d’Elsa Sahal. Sur la grande sculpture, ses fesses s’exhibent, bombées comme des ballons de foot. Son sexe repose dans son pantalon moulant, ne s’érigeant plus la verticale montrant sa puissance. Posés à l’horizontal sur des couvertures, les gisants sont allongés, tels des modèles. Avec cette exposition, Elsa Sahal explore l’émergence de nouvelles corporalités queer. Bordélique et malléable, le corps est en pleine métamorphose et échappe ici à la logique du genre: il n’est plus prisonnier des carcans masculinistes mais traversé par des désirs incandescents.
Julie Ackermann
Elsa Sahal, These boots are made for walking, 2020
Production centre d’art La Chapelle Jeanne d’Arc, Thouars
© Galerie Papillon
Elsa Sahal
These boots are made for walking, 2020
Production centre d’art La Chapelle Jeanne d’Arc, Thouars
© Galerie Papillon
Elsa Sahal
These boots are made for walking, 2020
Production centre d’art La Chapelle Jeanne d’Arc, Thouars
Elsa Sahal
These boots are made for walking, 2020
Production centre d’art La Chapelle Jeanne d’Arc, Thouars
Elsa Sahal, These boots are made for walking, 2020. Production centre d’art La Chapelle Jeanne d’Arc, Thouars