Ladislas Combeuil

LES ÂMES FLOTTANTES

Avec une création sonore originale de Thylacine

Exposition du 11 novembre 2022 au 14 mai 2023

Ouvert du jeudi au dimanche, de 14 h à 18 h

Les autres jours sur rendez-vous

Entrée libre

 

ÉVIDE(M)MENT

Le travail de Ladislas Combeuil présenté à La Chapelle Jeanne d’Arc s’organise selon le principe minimaliste du « less is more », issu du modernisme. Ce principe se retrouve à deux niveaux dans la démarche de l’artiste, sur le plan de la mise en forme et sur celui de la mise en espace.

Sur le plan de la mise en forme, ce travail de sculpture est avant tout le fruit d’un évidement de la matière, en l’occurrence le bois, que l’artiste gratte jusqu’à ses couches inférieures pour en faire surgir de nouvelles propriétés plastiques. Pour le dire autrement, c’est le retrait de la matière qui conditionne l’existence de cette sculpture « en creux », un principe d’autant plus affirmé que, dans le cas présent, l’œuvre est positionnée à plat et au sol, sans relief accentué ni saillie. Par ce geste, Ladislas Combeuil renoue avec le traditionnel dégrossissage de la sculpture, en le poussant jusqu’aux extrêmes techniques que sont l’ajourage, le percement ou, dans le cas présent, la mise à nu de la matière. Ce travail s’oppose en cela aux pratiques de l’assemblage et de l’accumulation, qui engagent la sculpture contemporaine dans un rapport de frontalité.

Sur le plan de la mise en espace, l’évidement se joue aussi dans l’effacement de cette sculpture-plancher, qui vient épouser le sol de l’édifice pour devenir l’un des éléments de son décor. Dans cette configuration, la sculpture assume pleinement son rôle d’élément fonctionnel et décoratif, en agissant directement sur les conditions d’usage et de visite de la chapelle. La sculpture se pratique simultanément à sa perception visuelle, puisque le spectateur doit la parcourir dans toute sa longueur pour la voir, à moins de pouvoir monter jusqu’à la tribune, qui permet de l’observer depuis un point de vue panoramique. En cela, Les âmes flottantes renoue avec le principe de l’in situ entendu dans sa définition première, plus scientifique qu’artistique : un phénomène observé à l’endroit où il se déroule, dans un milieu qui lui est quasi naturel.

L’appréhension de l’œuvre se fait par une approche sensible directe, que renforce l’écoute de la composition sonore de Thylacine. La mise à nu de l’espace architectural, la désaffection des murs comme surface d’exposition, la localisation inhabituelle de l’œuvre au sol, imposent une présence artistique singulière, qui ne sublime pas plus l’architecture que celle-ci ne contient l’œuvre. La radicalité du parti-pris de l’artiste se fonde à la fois sur la disparition de sa création, mais aussi sur l’immersion de celle-ci dans son contexte architectural, établissant ainsi un rapport d’interdépendance entre l’œuvre et son environnement. En cela, Les âmes flottantes peut être considérée comme une œuvre manifeste, parfaitement inscrite dans les principes édictés par le sculpteur Siah Armajani : « La sculpture publique n’est pas ici pour rehausser l’architecture, dedans ou dehors, pas plus que l’architecture n’est là pour loger la sculpture publique, dedans ou dehors. Elles sont destinées à voisiner1 ».

Ladislas Combeuil

© Ladislas Combeuil

PAYSAGES

Cet évidement conjoint de la matière et de l’espace produit des effets visuels d’une grande efficacité, issus des opérations de mise en œuvre du matériau : grattage, rabotage, vernissage, mise à plat, escamotage… Ce sont ces gestes successifs qu’immortalisa Caillebotte dans Les Raboteurs de parquet (1876), célèbre toile dans laquelle se devine la mise à nu de la surface picturale. À La Chapelle, ce travail de la matière contribue à sublimer le contreplaqué, matériau d’usage très courant qui, transformé par l’artiste, s’impose comme l’un des éléments du décor sophistiqué de l’édifice. Paradoxalement, cet anoblissement se fait par la dégradation de la surface du matériau, dont la dimension manufacturée disparaît au profit de sa matière brute. C’est bien le bois, sa filiation à l’arbre et à la forêt, qui intéresse Ladislas Combeuil : en témoigne le paysage qui se dévoile aux pieds de tous ceux qui foulent cet extraordinaire parquet.

En parcourant l’espace, on réalise en effet que l’ensemble des motifs tracés au sol forme l’image d’un immense paysage, à la lisière de l’abstraction. Seule une vision en hauteur, depuis la tribune, peut en donner toute l’étendue, ce qui renvoie à la définition classique du paysage en tant qu’étendue spatiale couverte par un point de vue unique. Depuis ce point de vue global, l’espace de la chapelle se présente dans une continuité que l’œuvre vient à la fois souligner et révéler. La boucle sonore composée par Thylacine s’impose comme une strate supplémentaire, qui contribue à ouvrir l’espace physique et mental. Le paysage ainsi suggéré par l’image et le son s’apparente à une vaste étendue plane et sans limite, en opposition aux espaces fragmentés de notre monde contemporain.

Dans la crypte, un retour s’opère vers une forme plus usuelle de contemplation et de (re)présentation du paysage. On y découvre quatorze tableaux de la série Sur les cimes, réalisée en 2021. Ces tableaux, créés à partir de planches de contreplaqué gratté et peint, forment un ensemble unitaire, constitué de variations autour d’un paysage qui paraît désertique, rocheux et accidenté. Au contraire de l’installation présentée dans la nef, ces images verticales, de format plus commun, ne bouleversent pas nos critères habituels de perception. Si la technique est bien la même, l’expérience proposée au visiteur est tout autre. Le retour vers un format propre à la peinture de chevalet, la continuité des images et leur présentation verticale offrent au regard un répit, et peut-être une clef supplémentaire pour comprendre et apprécier la vaste installation déployée dans la nef.

En 1785, Alexander Cozens publiait sous la forme d’un court traité un manuel à l’usage des jeunes peintres, dans lequel il proposait d’utiliser la tâche et le hasard comme préalable à la composition de paysages. À bien des égards, Ladislas Combeuil semble réactualiser cette méthode, qui fût inventée par Léonard de Vinci et reprise au XXe siècle par les surréalistes. Il n’est pas ici question de copier la nature pour en donner une représentation fidèle et perspectiviste, mais plutôt de s’inspirer de ses mouvements biologiques et organiques, afin de traduire la complexité des phénomènes qui la composent. Avec cette méthode, l’artiste entend faire surgir aléatoirement les images de la matière même, en se préoccupant le moins possible des principes codifiés de la composition traditionnelle. Dans la série Sur les cimes, le regard se saisit ainsi des mouvements générés par les strates du bois, qu’une ligne sinueuse et irrégulière vient distinguer du fond peint. Cette ligne ne marque aucun horizon, mais se constitue comme une simple frontière spatiale entre deux plans.

La composition de ces paysages rappelle singulièrement les Forêts de Max Ernst, également construites sur un unique plan frontal et formées de surfaces de papier préalablement grattées et positionnées les unes à côté des autres. Mais au contraire de Max Ernst, qui utilise le plancher comme matrice pour créer des formes végétales, Ladislas Combeuil se saisit directement de son matériau comme support et « milieu » au sein duquel surgissent des concrétions organiques, évocatrices d’un paysage étrange et primitif.

 

PRÉSENCES-ABSENCES

L’absence de figure humaine dans ces paysages est marquante, comme l’est aussi celle du relief dans la nef de la chapelle. La notion de « retrait » est centrale dans cette proposition artistique, ce qui fait de l’absence le véritable sujet de l’exposition. Son titre même, Les âmes flottantes, questionne directement cette présence-absence. Il est aussi le titre d’une peinture qui se découvre au cours de la visite, discrètement accrochée dans le transept de la chapelle. Cette peinture, constituée d’une succession de couches et de strates, est le fruit de plusieurs années de travail. Sa facture résulte d’un très long processus, perceptible à travers les strates picturales qui la constituent dans son épaisseur et sa matérialité. L’œuvre évoque de façon symbolique le passage du temps et la mémoire des gestes. Ses halos fantomatiques soulignent la présence d’autres traces visibles sur les murs de la chapelle. Elles sont les témoins discrets de son passé, dont elles préservent une mémoire plus intime et mystérieuse, qui complète et enrichit l’histoire du monument. Sensible à ces aspérités, l’artiste en a fait l’un des moteurs de son projet, qui rend lisible par le jeu de la mise en espace ces histoires secrètes et oubliées. À l’instar d’un manuscrit palimpseste maintes fois gratté, les œuvres de Ladislas Combeuil mettent ainsi en évidence les traces de ce qui a été. Ces « âmes flottantes », qui habitent les murs de la chapelle, nous rappellent qu’une œuvre n’est que la mémoire d’un mouvement qui la précède, et qu’elle porte en elle-même l’empreinte d’un temps antérieur, avec lequel elle finit par se confondre.

 

Antoine Réguillon

Notes

  1. Siah Armajani, Manifeste de la sculpture publique dans le contexte de la Démocratie américaine écrit de 1968 à 1978 et révisé en 1993. Article 17.

AUTOUR DE L’EXPOSITION

Visite/conférence de Ladislas Combeuil

Le 01/12/22 à 17 h
RDV au centre d’art
Entrée libre

Parcelles, réactivation de l’exposition par Ladislas Combeuil et Barbara Kairos

Vernissage le 17/02/22 en présence des artistes
Avec une performance dansée de la compagnie Sortie de Secours

Sculpter le paysage, un P.E.A.C. proposé aux écoles du thouarsais

Présentation des travaux des élèves du 07/04/23 au 16/04/23
Vernissage en présence de l’artiste le 07/04/23 à 18 h

Ladislas Combeuil

Ladislas Combeuil, Les âmes flottantes, 2021, peinture à l’huile et café sur toile de lin montée sur châssis, cadre en acier, 130 x 195 cm
© Nicolas Rouget

Ladislas Combeuil

Ladislas Combeuil, Les âmes flottantes, 2022, contreplaqué lazuré et verni, dimensions variables
© Nicolas Rouget

Ladislas Combeuil

Ladislas Combeuil, Les âmes flottantes, 2022, contreplaqué lazuré et verni, dimensions variables
© Nicolas Rouget

Ladislas Combeuil

Ladislas Combeuil, Les âmes flottantes, 2022, contreplaqué lazuré et verni, dimensions variables
© Nicolas Rouget

Ladislas Combeuil

Ladislas Combeuil, Les âmes flottantes, 2022, contreplaqué lazuré et verni, dimensions variables

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Ladislas Combeuil

Les nymphes portent des baskets, performance dansée par la Compagnie Sortie de Secours ©Cie Sortie de Secours