UNE PROPOSITION DE LAURENT-MARIE JOUBERT
avec Rosinah Dlamini, Sarah Dlamnini, Laurent-Marie Joubert, Mo Laudi, Sarah Mahlangu, Maria Makhamele, Leah Mkhwebane, Mavis Mlawe, Mmaleboang Mokoena, Puleseletso Mokoena, Seretse Moletsane, Maria Moloï, Nokufa Maria Motaung, Julia Muhali, Francina Ndimande, Joyce Ndimande, Rineth Sieda et Bontle Tau
Exposition du 24 juin au 22 octobre 2023
Vernissage le samedi 24 juin à 16h
ouvert du mardi au dimanche, de 14h30 à 18h30
Entrée libre
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Panneaux peints par Mavis Mlawe, 1995
© Laurent-Marie Joubert
Umuntu ngumuntu ngabantu
« Je suis car nous sommes »
Proverbe africain
Matrimoine est un projet collaboratif mené par une équipe d’artistes sud-africain·e·s réunie par Laurent-Marie Joubert, invité par Le Centre d’Art Contemporain d’Intérêt National la Chapelle Jeanne d’Arc et le Château d’Oiron, qui célèbre cette année les trente ans de sa collection Curios & Mirabilia. Il rend hommage aux traditions picturales venues des territoires ruraux d’Afrique du Sud, dans la lignée d’un projet mené il y a bientôt trente ans par Laurent-Marie Joubert, dans le cadre de la biennale d’art contemporain de Johannesburg. Matrimoine plonge ses racines dans deux histoires différentes, entre l’Europe et l’Afrique du Sud. Le récit que porte cette exposition, cependant, s’écarte de celui de la colonisation pour se concentrer sur la célébration d’un échange culturel au présent.
Cette ambitieuse aventure s’est écrite en trois temps : le premier prend la forme d’une résidence menée par Laurent-Marie Joubert à Oiron et Thouars. Depuis le 10 mai 2023, les artistes Joyce Ndimande et Nokufa Maria Motaung ont partagé cette résidence avec Seretse Moletsane et Bontle Tau, commissaires de l’exposition. Vient ensuite la réalisation de peintures murales traditionnelles sur les murs du sous-sol du centre d’art. Ce travail in situ accompagne la présentation de la pièce Courtyard, qui a elle-même inspiré une installation sonore au DJ et producteur sud-africain Mo Laudi. Le troisième volet concerne la production d’un ensemble de drapeaux dont les motifs ont été réalisés dans les ateliers du Château d’Oiron, où ils seront visibles à partir du 14 juillet 2023. À l’occasion de la coupe du monde de rugby, une partie de ces drapeaux pavoisera également les arcades du palais royal à Paris, entre le 8 septembre et le 10 octobre 2023.
Ce projet riche et pluridisciplinaire nous engage à considérer différentes perspectives sur l’histoire, les traditions et la culture. Au croisement de nos deux continents se rencontrent l’héritage matrilinéaire africain et le patrimoine architectural français. Dans cette brève intersection de temps et d’espace, les frontières disparaissent le temps d’une conversation de motifs et de couleurs, au son mélodieux d’une voix maternelle qui nous rappelle la maison.
Bontle Tau
COURTYARD
En 1995, Laurent-Marie Joubert est l’un des six artistes français invités à participer à la première biennale d’art contemporain de Johannesburg. Organisée un an après l’élection de Nelson Mandela, celle-ci se déroule dans un contexte politique marqué par l’ouverture démocratique du pays, après des décennies d’apartheid. Le voyage de Laurent-Marie Joubert sur place le convainc de faire appel à des femmes basothos, qui font vivre dans les marges rurales du Free State la pratique du litema. Transmise de mère en fille, cette tradition picturale s’attache à la réalisation de décors gravés, moulés et peints à même les murs des maisons, sur un enduit constitué d’un mélange d’argile, d’eau et de bouse de vache. Intimement lié à l’architecture de terre, le litema est une tradition partagée par les peuples de la culture SeSotho, qui déclinent de façon très localisée une grande diversité de motifs, de textures et de couleurs.
Laurent-Marie Joubert élabore pour la biennale un projet collectif, accompagné de douze femmes basothos. Il propose à ces artistes muralistes de transposer leurs motifs traditionnels sur un ensemble de 82 panneaux de signalisation routière, réunis sous le nom de Courtyard. Le panneau routier, emblème d’un langage universel, anonyme et globalisé, est le marqueur évident d’une certaine uniformisation culturelle. Il devient ici le support d’une expression plastique autrement plus individuelle, sensible et énigmatique, elle-même menacée par les mutations sociales et architecturales du monde moderne. Fixés sur des mâts comme autant de boucliers, de sagaies ou de slogans de manifestation, ces œuvres réactivent aussi la dimension politique de la tradition muraliste sud-africaine, qui fut utilisée comme un véritable outil de résistance face à l’oppression de l’apartheid. Il n’était pas rare, en effet, de voir éclater sur les façades des maisons le vert et le jaune de l’A.N.C., complété du noir, subtilement suggéré par la pénombre des ouvertures. En 1995, l’œuvre est exposée dans les espaces périphériques de la biennale et attire à peine l’attention des critiques, qui semblent estimer que cet art considéré comme « ethnique » et populaire n’est pas à sa place dans un événement d’art contemporain.
Aujourd’hui présentée entre les murs d’un centre d’art, au son envoûtant d’une composition originale de Mo Laudi, Courtyard pose à nouveau — et toujours sans y répondre — sa brûlante interrogation. Les frontières sont-elles si hermétiques entre traditions extra-occidentales et art contemporain ? Quelques œuvres de la collection Curios & Mirabilia du château d’Oiron questionnent de la même façon le regard que l’on pose sur l’art africain vernaculaire : les fantastiques cercueils du ghanéen Kane Kwei et les maquettes de Bodys Isek Kingeles en sont de parlants exemples. Ceux-ci furent choisis il y a trente ans par Jean-Hubert Martin, commissaire de la célèbre exposition Les magiciens de la terre et directeur artistique de la collection Curios & Mirabilia, pour illustrer la notion d’exotisme, qui traverse l’imaginaire des cabinets de curiosités de la Renaissance. De façon plus implicite, la présence de ces œuvres était aussi une façon d’évoquer la partialité de ce qui est produit, validé et diffusé par la scène artistique contemporaine. Cette problématique, qui conserve toute son actualité, est en fait soulevée par l’ensemble du projet Matrimoine : en défiant les frontières de la scène artistique contemporaine, fondamentalement influencée par le monde occidental, il exhorte ces frontières à devenir plus perméables et réactualise la question de ce qui est art et de qui en décide.
Bien plus qu’un témoignage ethnographique figé, la tradition du litema se réinvente aujourd’hui, même si la disparition de l’architecture de terre et la rupture des liens matrilinéaires la menacent sérieusement. Aux ocres naturelles, les artistes préfèrent désormais les peintures de synthèse, plus résistantes et simples d’utilisation. Les pinceaux remplacent dans la main de Nokufa Maria Motaung et Joyce Ndimande les chiffons et les plumeaux utilisés par leur mère. Il arrive aussi que des hommes fassent perdurer la tradition, qui s’échappe ainsi de ses séculaires origines féminines. Les enduits d’argile, peu adaptés aux matériaux de construction contemporains, disparaissent quant à eux le plus souvent. Si le déclin de cet art est incontestable dans les communautés sud-africaines, il faut toutefois souligner l’intérêt que lui portent une nouvelle génération d’artistes qui, conscients de la richesse, mais aussi de la fragilité de cet héritage, sont de plus en plus nombreux·ses à réinventer, faire perdurer et se transformer la tradition.
Gaultier Boivineau
AUTOUR DE L’EXPOSITION
Conférence de Laurent-Marie Joubert
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Le 24/04/23 à 18 h
Auditorium des écuries du château
Rond point du 19 mars 1962, à Thouars
Entrée libre
Ateliers publics
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Les 04/08/23 et 25/08/23
Les 06/09/23 et 20/09/23
Les 04/10/23 et 18/10/23
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Atelier de 15 h à 16 h, précédé d’une courte visite
Gratuit, sur réservation (06.24.24.76.42)
Vue du sous-sol de la chapelle – de gauche à droite : fresques de Nokufa Maria Motaung, Laurent-Marie Joubert et Joyce Ndimande
Nokufa Maria Motaung, Mmropotso, 2023
Courtyard, 1995 (détail)
Courtyard, 1995
© Antonin Moreau