Maude Maris
Dino et Neptune, exposition Souvenirs de Téthys, 2018
huile sur toile, 220 x 160 cm
production centre d’art La Chapelle Jeanne d’Arc
crédit : Jean-Nicolas Lechat
Maude Maris
Souvenirs de Téthys, exposition Souvenirs de Téthys, 2018
vidéo HD, 12 minutes
production centre d’art La Chapelle Jeanne d’Arc
crédit : Jean-Nicolas Lechat
Maude Maris
Souvenirs de Téthys, exposition Souvenirs de Téthys, 2018
vidéo HD, 12 minutes
production centre d’art La Chapelle Jeanne d’Arc
Maude Maris
Souvenirs de Téthys, exposition Souvenirs de Téthys, 2018
vidéo HD, 12 minutes
production centre d’art La Chapelle Jeanne d’Arc
Maude Maris
Souvenirs de Téthys, exposition Souvenirs de Téthys, 2018
vidéo HD, 12 minutes
production centre d’art La Chapelle Jeanne d’Arc
Maude Maris
Souvenirs de Téthys, exposition Souvenirs de Téthys, 2018.
vidéo HD, 12 minutes
production centre d’art La Chapelle Jeanne d’Arc
Maude Maris
Souvenirs de Téthys, exposition Souvenirs de Téthys, 2018.
vidéo HD, 12 minutes
production centre d’art La Chapelle Jeanne d’Arc
Maude Maris
Souvenirs de Téthys, exposition Souvenirs de Téthys, 2018.
vidéo HD, 12 minutes
production centre d’art La Chapelle Jeanne d’Arc
Maude Maris
Souvenirs de Téthys, exposition Souvenirs de Téthys, 2018.
vidéo HD, 12 minutes
production centre d’art La Chapelle Jeanne d’Arc
Maude Maris
Souvenirs de Téthys, exposition Souvenirs de Téthys, 2018.
vidéo HD, 12 minutes
production centre d’art La Chapelle Jeanne d’Arc
Maude Maris
Souvenirs de Téthys, exposition Souvenirs de Téthys, 2018.
vidéo HD, 12 minutes
production centre d’art La Chapelle Jeanne d’Arc
Maude Maris
Souvenirs de Téthys, exposition Souvenirs de Téthys, 2018
installation, 280 x 500 x 900 cm
production centre d’art La Chapelle Jeanne d’Arc
crédit : Jean-Nicolas Lechat
Maude Maris
Points, exposition Souvenirs de Téthys, 2018
huile sur toile, 120 x 90 cm
production centre d’art La Chapelle Jeanne d’Arc
crédit : Jean-Nicolas Lechat
Maude Maris
Neptune, exposition Souvenirs de Téthys, 2018
huile sur toile, 220 x 160 cm
production centre d’art La Chapelle Jeanne d’Arc
crédit : Jean-Nicolas Lechat
Derrière ce titre aux accents exotiques et sentimentaux, Maude Maris rend hommage à un paysage, celui du Thouarsais, particulièrement riche en fossiles marins. Sous le signe de la mémoire et de la rémanence, ses Souvenirs de Téthys réveillent une ère mythologique primordiale, un temps où la déesse marine Téthys, fille d’Ouranos (le Ciel) et de Gaïa (la Terre), sœur et épouse d’Océan, régnait sur le monde recouvert d’eau. Si l’artiste en réfère à cette fiction mythique, c’est pour mettre en exergue le champ archéologique, domaine dans lequel Téthys a donné son nom à un paléo-océan : il y a 180 millions d’années, l’Europe occidentale ressemblait à un vaste archipel, et la région de Thouars était entièrement submergée sous ses eaux. Maude Maris entrelace plusieurs temporalités dans l’exposition : le temps des récits poétiques qui mettent en jeu l’ordre du monde par la voie sensible ; et celui de la science et des archéologues comme Alcide d’Orbigny, dont les recherches sur le stratotype du Toarcien ont fait de cette période une référence chronologique internationale. Contextuelle, imaginaire et scientifique, saisie entre le temps géologique et le temps humain, cette histoire enfouie sous nos pieds impulse le scénario d’ensemble
Maude Maris
Souvenirs de Téthys, exposition Souvenirs de Téthys, 2018
installation, 280 x 500 x 900 cm
production centre d’art La Chapelle Jeanne d’Arc
crédit : Jean-Nicolas Lechat
Maude Maris
Red heart et Points, exposition Souvenirs de Téthys, 2018
huile sur toile, 220 x 160 cm et 120 x 90 cm
production centre d’art La Chapelle Jeanne d’Arc
crédit : Jean-Nicolas Lechat
Maude Maris
Souvenirs de Téthys, exposition Souvenirs de Téthys, 2018
installation, 280 x 500 x 900 cm
production centre d’art La Chapelle Jeanne d’Arc
crédit : Jean-Nicolas Lechat
Maude Maris
Souvenirs de Téthys, exposition Souvenirs de Téthys, 2018
installation, 280 x 500 x 900 cm
production centre d’art La Chapelle Jeanne d’Arc
crédit : Jean-Nicolas Lechat
MONDE FLOTTANT
Dans les peintures de Maude Maris, ils sont partout présents, acteurs d’une gestation étrange : les objets, ambigus, parfois très caractérisés, parfois plus indéfinissables. D’où viennent-ils ? L’artiste les sélectionne dans son éclectique collection de choses, qui comporte de vrais fossiles mais aussi des bibelots et de petits jouets en plastique. Maude Maris « refabrique » ces objets, elle les moule en plâtre, puis elle les manipule, les déplace comme des corps à chorégraphier, leur invente un rythme de cohabitation, dans lequel la lumière joue un rôle essentiel. Photographiés, ils sont dès lors prêts à entrer dans la peinture, et à questionner leur relation à l’espace pictural. Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette relation est flottante : dans les quatre nouvelles toiles présentées à la chapelle Jeanne d’Arc, pas de point de fuite ni d’ancrage mais une sensation de lévitation et de suspens, avec des ombres projetées déstabilisantes, et des fantômes d’objets qui spectralisent l’ensemble de la composition, feuilletée à l’infini par le travail des glacis. Flottantes, ces formes sont aussi inclusives : elles dilatent le temps et rassemblent des passés fragmentés.
INSERT PISCINE
Malgré la qualité plutôt minérale des objets mis en scène dans ces quatre peintures, une seconde nature, plus aquatique et florale, traverse ces nouvelles productions. Il faut souligner que le display d’accrochage favorise sans doute cette lecture : Maude Maris a conçu une cimaise monumentale, qui reproduit un fragment de piscine, entre trame carrelée au recto, et surface bleu délavé au verso. Dans ses couleurs comme ses surfaces, ce dispositif traduit un espace réel, découvert par l’artiste sur le flanc ouest de la ville de Thouars : une piscine en plein air désaffectée. Si l’installation reconstitue une version fossilisée de ce bassin abandonné, les tableaux qui s’y encastrent s’apparentent à de grands aquariums, des mondes en soi, univers immersifs où plonger vertigineusement le regard pour retrouver la mémoire d’une eau disparue.
EFFUSION COLORÉE
La palette de l’artiste semble en pleine évolution : on connaissait Maude Maris pour ses nuances pastel et ses douceurs crayeuses et crémeuses, presque pâtissières. À Thouars, la gamme chromatique s’intensifie, elle n’hésite pas à faire usage de violets et de jaunes jamais convoqués jusqu’alors, et fait exploser les tons froids : du bleu saphir ou pourpre pâle, du vert gazon au vert malachite, chaque tableau ravit par les articulations délicates et fluides qu’il met en œuvre. En phase préparatoire, Maude Maris utilise désormais des encres pour humecter certains moulages de plâtre : ces couleurs liquides l’ont conduite à découvrir de nouvelles concentrations, et des nuances qui servent à merveille son propos océanique. Citons également le processus de stratification facilité par l’usage de l’huile, qui n’est pas étranger à cette intensification chromatique : chaque tableau est une succession d’images peintes, et ces images circulent d’un tableau à l’autre, par effet de transparences, portées par un fond très vivant, parfois rugueux, avec des zones plus en pâte. Autant de phénomènes déclencheurs d’une impression de réminiscence, pour une peinture proustienne, pleine d’effusions.
PREMIER FILM
Ce dispositif, présenté dans la chapelle en lumière naturelle, ne se dévoile pas d’emblée, et l’accrochage se découvre en plusieurs temps, entre le visible et le caché, entre le monochrome bleu lavis, la cimaise tramée et les peintures à l’iconographie à la fois minérale et organique. Au sous-sol, Maude Maris choisit la faveur de l’obscurité totale pour présenter le second versant de son projet thouarsais, qui explore une voie inédite dans son œuvre : le film vidéo, installé ici dans la largeur de la pièce. Intitulé comme l’exposition Souvenirs de Téthys, ce film imbrique en alternance trois séquences tournées à Thouars, un montage qui permet à l’artiste de tresser différentes mémoires de la présence de l’eau sur ce territoire. Les premières images glissent en vue rapprochée sur un paysage d’ossements : les restes d’un Pliosaure, reptile marin retrouvé dans la Vienne et datant de 165 millions d’années environ. Au Centre d’Interprétation Géologique du Thouarsais, Fabienne Raynard a conçu une première reconstitution en carton-pâte de cet animal : dans le film, on la voit en réaliser une seconde, plus conforme aux dernières découvertes scientifiques. À quoi ressemble un vrai Pliosaure ? Personne ne le sait vraiment, mais c’est précisément ce qui intéresse Maude Maris : dans ce patient geste de reconstitution, elle capte la façon dont la créativité manuelle accompagne la connaissance des sciences de l’évolution et de l’anatomie, car pour toute incarnation plausible, l’archéologie doit aussi faire appel à l’imagination. Ainsi, pour mieux visualiser le Pliosaure nageant dans l’immense océan disparu, il faut projeter des scénarios entre faits et fiction, habiller les ossements, inventer les couleurs.
CARRELAGE ET CARAPACE
Dans une seconde séquence, Maude Maris revient sur les lieux de la piscine en plein air évoquée précédemment : au fond de ce bassin vide déjà envahi par une petite végétation avide, elle filme la progression d’une énorme tortue, majestueuse et incongrue. Historiquement, cette espèce animale a côtoyé les dinosaures et traversé toutes les crises climatiques. Proches parentes des reptiles marins, les tortues sont symboliquement liées à l’énergie de l’eau et à la nature fluide des émotions : elles incarnent la sagesse ancienne de la terre, la longévité voire l’immortalité. Pour cela, la tortue a fasciné les peintres, d’Arcimboldo à Christian Hidaka. Chez Maude Maris, le temps infini porté par l’animal se frotte à l’existence brève de cette piscine menaçant déjà ruine, la peau ridée et la carapace patinée provoquant une friction visuelle spectaculaire avec la faïence blanche et sa trame aux lignes noires. Au fil du film, Maude Maris crée différentes focales, varie le cadrage et la place de la caméra : des mouvements qui mettent en valeur les textures, le réseau des lignes et les circulations entre architecture et paysage, gestes nerveux de l’animal et calme environnant. Dans cet ersatz de lac asséché, un voyage métaphorique s’entreprend dans l’espace et le temps.
CAPILLARITÉ
Une troisième séquence se combine aux deux autres : elle montre en très gros plan des moulages de plâtre blanc, ceux qu’utilise Maude Maris comme motifs à peindre, et qui parfois s’apparentent aux formes de coquillages fossiles. L’artiste les filme se gorgeant par capillarité d’encres colorées : images suggestives de la montée des eaux, ces « absorptions » chromatiques parlent aussi de peinture, références directes aux tableaux présentés dans la chapelle ; à l’écran, nous assistons à une performance picturale instantanée, connectée avec le temps géologique de la fossilisation, soit des millions d’années. La bande son de ce film prolonge cette relecture dynamique qui confronte temps géologique et existence humaine : Maude Maris combine les notes d’une composition électronique minimale avec les extraits d’une interview de Didier Poncet, conservateur du patrimoine et géologue, responsable du Centre d’Interprétation Géologique du Thouarsais: pas de tentation documentaire ou pédagogique ici, mais l’éclairage d’une parole spécialisée, qui ponctuellement bascule dans le commentaire poétique, et interroge des données temporelles démesurées.
ÉPILOGUE
Plutôt que l’approche didactique, l’artiste privilégie l’étrangeté des atmosphères, hantées par le temps et la mémoire, la disparition ou la survivance. Lorsque l’anthropocène et ses excès sont abordés, c’est en filigrane et sans démonstration. Maude Maris préfère les indices sensibles aux grandes leçons, et croit à l’empathie des rencontres : motif récurrent dans l’exposition, la grille moderniste et sa structuration parfois angoissante de l’espace (la torture semble séquestrée à ciel ouvert) sont toujours confrontées à des formes souples, organiques et libres, qui offrent la possibilité d’une échappée. En ce sens, l’exposition Souvenirs de Téthys n’objective pas de regard critique, mais propose une enquête intérieure, dans la matérialité sensible des espaces picturaux et réels, vers la contemplation, au diapason d’un ressac du monde.
Éva Prouteau, 2018